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Cette brève étude présente les résultats d’une recherche incomplète portant sur l’usage de la territorialité dans les volumes de l’Histoire générale de Languedoc (désormais HGL) consacrés à la période allant de 700 à 1200. On dispose de trois versions de cette HGL : la première fut rédigée par dom Devic et dom Vaissète, des bénédictins de la congrégation de Saint-Maur, et publiée entre 1730 et 1745 ; la seconde par Alexandre Du Mège au début du XIXe siècle (rééditée en 1996) ; la dernière enfin au tournant des XIXe et XXe siècles (rééditée en 2003-2006) est rédigée par plusieurs auteurs mais Auguste Molinier en assure seul la rédaction pour la période 877-1200. Il s’agit, pour cette dernière, d’une œuvre monumentale de près de 20000 pages dont le tiers reproduit des documents, certains étant aujourd’hui perdus. Si Du Mège a remanié le texte initial des bénédictins – ce qui, faute de temps, a interdit une étude de cette phase historiographique – les auteurs de la troisième version ont conservé le texte original des Mauristes, se « contentant » de le compléter par des corrections en notes de bas de pages ainsi que par des ajouts dans des notes spécifiques. Aussi est-il tout à fait possible de suivre une évolution de la territorialité à travers l’analyse de l’emploi d’un certain nombre de mots (« frontière », « territoire », « vicomté », « châtellenie »).
L’usage du mot « frontière » relève presque exclusivement des Mauristes (148 des 150 occurrences). La frontière sert surtout à localiser : ainsi, tel château est situé aux frontières du Quercy et du Rouergue. Mais la « frontière » permet aussi, quoique beaucoup plus rarement, de séparer deux entités, comme les mondes musulman et chrétien tout au long de la période. Elle sert enfin, très ponctuellement, à individualiser un territoire ; c’est le cas des États des comtes de Toulouse, pour l’essentiel après 1193 (6 des 8 occurrences).
Le mot « territoire » est usité 103 fois dont 26 fois par les auteurs de la fin du XIXe siècle (12 fois par les auteurs de la période 700-877 et 14 fois seulement par Auguste Molinier pour 877-1200). Le mot se croise presque toujours dans des expressions du type « le territoire de telle cité épiscopale » et apparaît donc comme étroitement associé à un pôle, à un lieu central, qu’il s’agisse ici d’une cité épiscopale, ou d’un monastère, d’un château.
C’est surtout avec les expressions marquant la territorialité liée au mot « vicomte » (« vicomte de tel endroit », « vicomté ») que l’on perçoit un écart fort entre les Mauristes et Auguste Molinier. Dans ces écrits, ce dernier introduit une hyper-territorialisation dès le IXe siècle, alors que dans ceux des bénédictins une montée progressive de l’usage du mot « vicomté » révèle avec un avant et un après 1074. Le constat est identique pour le mot « châtellenie ».
Au total, Devic et Vaissète se montrent plus rigoureux que Molinier dans la relation entre territorialisation et pouvoir. Si, pour comprendre cette distorsion, il faut tenir compte des premiers travaux d’Auguste Molinier portant sur le début du XIIIe siècle, une tendance historiographique plus lourde ainsi qu’un contexte politique particulier doivent aussi être sollicités. La version de l’HGL de la fin du XIXe siècle s’achève en effet en 1790, année où prend effet la départementalisation, seule entité territoriale avec l’État à avoir grâce aux yeux des dirigeants de la IIIe République naissante. Les départements mettent un terme à l’existence des châtellenies, des vicomtés, fondements de l’« anarchie féodale », pour reprendre une expression chère à Auguste Molinier. L’invention par cet historien de l’existence dès le IXe siècle des vicomtés et au suivant des châtellenies, lui permet de tenir un discours qui participe à la propagation de l’idée que seules les super-structures étatiques peuvent s’opposer à cette anarchie. |
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